Chapitre 2 : L'ombre
Hong Kong
- Il devrait se trouver dans ton périmètre. Ici, il n'y a rien. Reste sur tes gardes, Kyo.
- T'inquiète, Shaolan ! Celui-là, je ne le louperai pas.
- Attends-moi pour le final.
- Je verrai.
Shaolan remit prestement son portable dans la poche de son jean. Les sens en alerte, il continua à courir vers le quartier où se trouvait son ami. Il avait beau se montrer détendu devant les deux autres, au fond de lui il redoutait les événements à venir. Depuis deux mois, les accidents impliquant des forces magiques ne cessaient de se produire. Et les blessures de victimes, au fur et à mesure des attaques, s'aggravaient. Ce n'était plus qu'une question de temps pour que la première victime sérieuse s'annonce
- Shaolan ! Amène-toi. Il est dans le stade.
Shaolan passa la haute barrière et se retrouva dans les buissons qui bordaient la clôture. Puis, il s'élança vers les gradins. Il parcourut de son regard noisette, les environs. Rien. L'immense terrain de foot était vide. Ce démon leur échappait une fois de plus. Abattu, il passa une main dans ses cheveux en bataille.
Une main se posa alors sur son épaule. Le jeune homme brun et au regard ambré, s'appuya contre son ami.
- On y arrivera pas comme ça, soupira Kyo.
- Je suis ouvert à toute proposition qui permettrait de mettre la main sur ce putain de démon !
- C'est un magicien, objecta un jeune homme aux cheveux bruns parsemés de reflets bleus tout comme ses yeux dissimulés derrière des lunettes, et qui répondait au nom d'Eriol.
- Un magicien qui se sert de ses pouvoirs contre des innocents est un démon ! conclut Shaolan.
- On fait quoi ? demanda Kyo en s'asseyant sur un siège. Je vous préviens que demain, les cours reprennent. Ce n’est pas que je sois heureux de retrouver les bancs du lycée et le Chauve (vous saurez bientôt qui est ce perso si énigmatique que Kyo adore -) mais je tiens à me montrer sous mon meilleur jour pour rencontrer mes fans. Sérieux, qu'est-ce qu'elles penseraient si je me ramenais avec des cernes sous les yeux ?
- Que t'es un type à ranger dans la case des mecs pas fréquentable parce que trop infidèle, répondit Shaolan.
- Parle pour toi, rétorqua-t-il. Je ne suis pas le seul à être aussi instable ?
- Et si on rentrait ? proposa Eriol. Mais pas chez ma tante. Tu ne crois pas, Shaolan ?
- Tu parles. On va encore avoir droit à un sermon de ma mère. Kyo, ça ne te gêne pas si on squatte ton appart ?
- Tu connais le tarif, vieux, dit-il en se relevant.
- Le petit déj, je sais.
- Allez, les p'tits ! On y go ! dit-il en s'éloignant les mains dans les poches.
- Tu prends le canapé ? demanda Shaolan.
- Pas question, répliqua Eriol. On le joue à pile ou face ?
- D'ac !
Eriol sortit une pièce.
- Face, tu prends le canapé. Pile, tu prends la chambre d'ami.
Il jeta la pièce dans les airs. Elle retomba. Il l'attrapa au vol et la plaqua sur le dos de sa main. Lentement, il découvrit la pièce.
- Et merde ! s'écria Shaolan.
- Tu manque toujours de chance, cousin.
Sur ces mots, Eriol courut rattraper Kyo.
C'est pas que je manque de chance, c'est toi qui en a trop, pensa-t-il avec un sourire.
Puis, il rejoignit ses deux amis.
Ils ne remarquèrent pas la silhouette tapie dans l'ombre. Cette dernière observa les trois jeunes gens s'éloigner joyeusement. Un sourire narquois se dessina sur ses lèvres. Encore attendre avant de sortir de l'ombre. Elle s'impatientait mais tenait bon. Pour obtenir ce qu'elle désirait, il lui fallait faire preuve de patience et ne rien précipiter. Oui, pour le moment, il fallait attendre...
Il faisait sombre.
Elle courait.
Elle courait encore à perdre haleine dans cette forêt aux arbres gigantesques. Pourquoi cette course effrénée dans cette végétation hostile ? Elle n'en avait aucune idée. Une chose était certaine. Elle devait aller jusqu'au bout de son chemin.
Une forme noire se dessina. Les contours d'un corps humain se précisèrent. Il s'approcha lentement d'un pas décidé. Il tendit sa main vers elle et...
Trrriiiiiiiiiiit !
Sakura se réveilla en sursaut, le front en sueur et le coeur affolé. Son réveil n'y était pour rien. Non, le coupable de son état d'agitation était ce maudit cauchemar ! Elle ne supportait plus ces rêves étranges qui hantaient ses nuits depuis deux mois. A force de revoir les mêmes songes où se dissimulaient tant d'ombres, elle craignait de fermer les yeux. A tel point qu'après avoir usé de tonne de café pour éviter de dormir, son médecin - à la demande de son père - avait dû lui prescrire des somnifères pour l'obliger à dormir. Dormir, oui. Mais rêver, non. Et là, elle ne voyait aucun médicament pour son problème.
Elle écarta les pans de sa couette et se leva de son lit. Fatiguée, elle se traîna jusque dans la salle de bain. Son pyjama quitta la chaleur de son corps pour tomber en petit tas à ses pieds. Elle ouvrit la porte du cabinet de douche et, la main sur le robinet, ouvrit l'eau. Le jet d'eau qu'elle reçut sur son visage puis sur son corps lui remit les idées en place. Sa main attrapa le gel douche parfumé à la cerise.
- Sakura !
Elle ferma le robinet d'eau.
- Je suis sous la douche, Tomoyo ! cria-t-elle.
Elle entendit la porte s'ouvrir.
- Ouah ! Pincez-moi, je rêve ! Je n’en reviens pas ! C'est...
- C'est bon, maugréa Sakura. J'ai compris.
- Excuse-moi mais c'est bien la première fois que je vois ma p'tite Sakura se lever au premier hurlement de son réveil. Attends... Ne me dis pas que c'est la fin du monde ? Oh, quel triste destin que le mien qui n'ai pas eu le temps de trouver cet amour si pur et si sincère dont parlent les romans d'amour ! déclara-t-elle, d'un ton faussement tragique, en mettant sa main en travers de son front. Oh, mon Dieu, ne m'arrachez pas à cette terre sans...
- Je crois que ce n'est pas à des cours d'audiovisuel que tu devrais t'inscrire, mais à des cours de théâtre, se moqua-t-elle.
- Je sais, c'est tout moi, ça ! Je suis sans cesse tiraillée entre mes deux passions.
- Tu sais, Tomoyo, je pouvais me débrouiller toute seule ici, dit-elle en reprenant sa douche.
- Tu veux me renvoyer au Japon ! s'horrifia-t-elle.
- Mais, non ! Seulement à cause de moi, tu viens étudier en Chine. T'aurais peut-être voulu finir le lycée avec les autres à Tomoéda.
- T'es folle ! J'ai été séparée de toi pendant ton séjour en Grèce. Et lorsque tu es revenue au Japon, c'était avec une tête d'amnésique. Alors, pas question qu'il t'arrive quoique se soit d'autre dans cette ville étrangère. Je veille sur toi, maintenant !
Merci, Tomoyo. Je suis si contente d'avoir une amie aussi fidèle que toi. Heureusement que cette amnésie n'a pas duré. J'ai mis un nom sur les visages et mon passé est revenu. Pourtant... J'ai la sensation qu'il me manque quelque chose. Je ne parviens pas à lever le rideau sur cette information capitale qui me rendrait enfin entière.
- ... Et aujourd'hui, nous sommes à Hong Kong avec ton père. C'est génial, non ? Le seul petit inconvénient c'est que tu as le sommeil très agité. Si je l'avais su plus tôt, j'aurais demandé qu'on isole les murs, dit-elle taquine en ressortant de la salle de bain.
Si seulement, Tomoyo connaissait les véritables causes de ces nuits agitées comme elle le disait si bien. Sakura n'avait pas osé lui raconter ces rêves et encore moins lui révéler qu'elle en était à ce point malade qu'elle prenait des somnifères pour dormir. Il ne fallait pas lui gâcher sa joie. Elles étaient ensemble. C'était tout ce qui importait.
Les deux amies s'étaient quittées durant quatre semaines à cause du travail du père de Sakura. Cette dernière savait que les fouilles demanderaient beaucoup de temps à son père et qu’il demeurerait donc un certain temps en Grèce. Elle avait donc profité du séjour de Toya en Grèce pour l'accompagner. Mais peut-être aurait-elle mieux fait de rester au Japon. Ainsi, elle n'aurait pas subi cet accident responsable de son amnésie. Elle ne se rappelait plus rien de cette nuit tragique où elle avait perdu Kaho. Malgré les recherches, aucun corps ne fut retrouvé. Pour beaucoup, Kaho Mizuki avait malheureusement été enseveli sous l'éboulement du chantier. L’enquête s’arrêta là.
Toya ne s'était toujours pas remis de la disparition de Kaho.
Sakura versa une larme, tout en refermant le robinet d'eau. Elle sortit de sous la douche et attrapa une serviette.
Elle aurait tant voulu se souvenir des minutes précédant son accident. Mais ses tentatives pour rassembler les trois pièces du puzzle, dispersés en divers endroits de son crâne, restaient vaines. Sa mémoire refusait d'accomplir d’autres efforts après avoir remis à jour son passé.
Tant qu’elle ne dévoilerait pas le voile sur cette nuit tragique, elle se sentirait étrangère dans son propre corps. C'était fou de penser ainsi, mais c'était le cas. Une ombre se tassait au fond d'elle. Elle faisait parfois irruption puis repartait aussi subitement.
Une ombre qu'elle ne parvenait pas à cerner. Bonne ou mauvaise ? Elle l'ignorait.
Elle attend.
Elle guette.
On la cherche.
Sakura en était certaine.
Une heure plus tard, les deux jeunes filles sortirent de leur maison, sac à la main.
Sakura avait relevé ses cheveux châtain foncés, mi-longs, mais quelques mèches couraient sa nuque tandis que certaines lui encadraient délicieusement le visage, sans gâcher le charme de ses magnifiques yeux verts pétillants. Tandis que Tomoyo gardaient ses longs cheveux bruns en liberté dans son dos.
Elles portaient toutes les deux le traditionnel uniforme scolaire composé d'une jupe plissée pourpre qui dévoilait de belles jambes, d'un chemisier blanc qui soulignait leur taille de guêpe et d'une veste.
- Oh, ma Sakura ! Tous les uniformes de cette planète semblent être faits pour toi, fit subitement remarquer Tomoyo. Tu es un don un ciel !
- C'est la centième fois que tu me le dis.
- C'est vrai ? Oh, ce n'est pas bien grave puisque c'est la stricte vérité. Tu es divine !
- Si j'attrape la grosse tête, ne viens surtout pas te plaindre.
- Ca n'arrivera jamais car je crois que tu es inconsciente de ton charme. Tu es trop naïve.
- C’est pas vrai !
- Si !
- Non !
Le long du chemin qui les menait vers l'école privé de Tao, les deux ravissantes japonaises ne cessèrent leur petit jeu.
Sur le toit d'une école, deux hommes conversaient. L'un était de petite taille et l'autre le dépassait d'au moins deux têtes.
- Le conseil des douze sages me semble débordé par les évènements qui touchent les divers magiciens du monde, fit remarquer le plus grand.
- Cela fait 2 mois qu'ils tentent de localiser cette ombre malfaisante, en vain, répondit le plus petit. Nous avons envoyé Kaho mais elle est morte sans laisser de notes derrière elle.
- Son corps n'a pas été retrouvé. Pourquoi l'enterres-tu sans la moindre preuve de son décès ?
- Sa magie n'est plus perceptible. Il faut savoir regarder la vérité en face... Comment va la maîtresse des cartes ?
- Elle a recouvré la mémoire mais son passé en tant que magicienne semble avoir été définitivement effacé. Elle a oublié jusqu'à l'existence de Kerobéro et de Yué.
- Elle n'utilise donc plus la magie ?
- Non.
- Cela me chagrine mais me rassure. Car, l'ombre ne pourra pas s'emparer de l'une de nos plus puissantes magiciennes. D'un autre côté, elle aurait pu nous être d'un grand secours au cas où la situation s'aggraverait.
- C'est pour cela que tu as demandé à Fujitaka de venir s'installer en Chine, au plus près du conseil ?
- Oui. C'est au cas où... Et puis, si vraiment l'ombre doit s'emparer du trésor des douze sages, elle devra forcément venir en Chine. Tôt ou tard, nous la retrouverons.